conscience vraie

Michel Croier

I Fiche de lecture / Synthèse du livre l'acteur et le système - Les contraintes de l'action collective (page 1)

L'ACTEUR et le SYSTEME (page 2)

Michel Crozier et Erhard Friedberg

II - Critique du livre - Pistes de réflexion

L'Acteur et le Système - Michel Crozier

Je pense que cette approche est à la fois incontestablement pertinente et effectivement risquée. Comme toutes les méthodes et approches complexes elle est exposée au risque de réductionnisme, mais de plus, sa formulation comprenant beaucoup de contradictions et d’'ambiguïtés, elle offre des failles - voir un alibi - dans lesquelles des intervenants peuvent s’'engouffrer. Nous connaissons notamment tous des abus en matière de manipulation.

Sans chercher à faire une liste exhaustive de tous les points risqués ou ceux simplement discutables, je souhaite attirer l'attention sur les points suivants :

Le jeu

Sans ergoter je pense qu’'il est important de s’'attarder sur la notion de « jeu » qui est au cœentre de cette approche. Michel Crozier et Erhard Friedberg emploient ici ce mot à contre-sens au regard de sa vraie signification, qui est en fait plurielle, mais avec certaines caractéristiques irréductibles. De cette façon les cartes sont brouillées au départ et le risque de dérives est accentué.

Je ne m'’attarderais pas sur les définitions des dictionnaires (1 page complète dans le petit Robert), je signale simplement que les deux premiers adjectifs attribués sont ludique et gratuit (sic)…

Je renvoie au livre de Roger Caillois* qui consacre aux jeux un livre entier et qui, à partir d'’un recensement de ces jeux, élabore une interprétation des différentes cultures. Cette définition comprend plusieurs paramètres, en plus du ludique et de la gratuité, et en particulier : l'’entière liberté de jouer pour les participants, le CHOIX. Alors que dans l'’approche stratégique telle qu’elle est définie, cette liberté est très relative (voir inexistante) alors que c’'est une des bases de cette théorie.

Une autre des caractéristiques du jeu est la définition claire des règles et leur acceptation par les participants ; et le cas échéant… ce n'’est pas du jeu ! Ceci dit, cette caractéristique ne s’'applique pas au « jeu » tel qu’on l'’entend pour un acteur de théâtre, jeu qui se trouve être du « simulacre » (dixit R. Caillois). Ce qui renvoie également à toute l’'ambivalence du mot « acteur », celui qui agit, ou, l’'artiste qui joue un rôle. Il semble que ce soit cette catégorie de jeux que MC et EF prennent pour référence. Au-delà de l’'intérêt de prime abord, voir du côté séduisant, nous pouvons aisément entrevoir les effets pervers, dont les réactions d’hyper-adaptabilité, et la perte du sens. Le sens étant complètement occulté dans cette approche stratégique. (Il est vrai qu’'après cela, on peut offrir au personnel des séances de massage au bureau pour les déstresser…...)

D’autre part, R. Calois (p. 103/104) attire l'’attention sur la perversion que caractérise la contagion du jeu par la réalité (le jeu, rappelons le, devant être absolument défini et délimité dans le temps et l’'espace). Je pense que cette affirmation est réciproque et que le risque de perversion dû à l’envahissement de la réalité par le jeu est évident. Ou alors, faut-il concevoir les organisations comme des entités uniquement et complètement virtuelles ?

Dans les nombreux sens du mot « jeu », il y a aussi le « mou laissé entre les rouages », la souplesse, que MC et EF reprennent également (p. 399) le « strack » en anglais. Comme la définition qu'’ils en donnent (p. 113) : « le jeu, instrument que les hommes ont inventé pour structurer leur compréhension » . Le but de l’'analyse stratégique est de mettre à jour ces jeux. Ce qui ne veut pas dire que dans la pratique ces règles soient clarifiées.

L’intention et la finalité

Michel Crozier et Erhard Friedberg déconnectent l'’intention de l’'analyse stratégique en axant leur plaidoyer sur la finalité de l'action et le moyen d’'y arriver. Ils rappellent que « l'’enfer est pavé de bonnes intentions », c'’est à dire qu'’elles ne sont pas forcément efficaces. Cependant, si il est évident que l'’intention positive est insuffisante, voire utopiste, opérer une telle dichotomie est, je pense, dangereux voire schizophrénique. En fait de rationalité limitée, elle l’'est peut-être un peu trop, justement.

Il est bien évident que ce livre n'’est pas à l’'origine de toutes les erreurs et abus dans les actions où l'’homme intervient sur l'’homme, ce que Michel Crozier et Erhard Friedberg appellent eux-mêmes « la face honteuse du pouvoir, la manipulation, le chantage… » (p. 32), puisque ceux-ci ont toujours existés, avec tous les effets désastreux que cela entraîne ; mais leur déploiement est allarmant.

Sur un sujet aussi complexe et paradoxal, il aurait été plus que nécessaire d'éviter toutes ces ambiguïtés sémantiques car elles offrent une emprise particulière aux interprétations réductrices et aux déformations. Une hypothèse serait que cette ambiguïté soit voulue.

C’est justement la compréhension que l’'on a de cette théorie et la qualité d'’action que l'’on développe qui fait la différence.

Il est donc permis de penser que cette méthode qui focalise l’'action sur les relations de pouvoir à contribué à les renforcer (en cela ce livre s'’applique à lui-même) ; et de constater que le mode d'attitudes imposé aux personnes entraînant une perte de sens, les oblige à opérer un dédoublement de personnalité pour s'adapter à ce système artificiel.

Cette pathologie, qui rend les personnes plus manipulables, est créée de toutes pièces et devient la "normalité".

Cette théorie et méthode largement exploitée en sociologie, management et sciences cognitives va dans le sens du système pervers.

Pour éviter les effets pervers de cette méthode sociologique de l'’action organisée et l'utiliser de façon constructive, il est indispensable qu'elle soit associée à une écologie de l'’action. Michel Crozier et Erhard Friedberg proposaient à juste titre d'’ajouter l'’imprévu des comportements en input du système, je pense qu'il est également indispensable d'y ajouter l’'éthique.

Copyright © Josselyne Abadie
conscience-vraie.info

* Roger Caillois : Des jeux et des hommes / le masque et le vertige - Gallimard 1967

Liens internes

Dossier sur la Stratégie

Sur le jeu, voir la Fiche de film : Rollerball

Sur l'éthique voir la synthèse du livre d'Edgar Morin >>>

Bibliographie Edgar Morin

Sujets connexes :

La soumission à l'autorité - L'expérience de Stanley Milgram (Fiche de lecture)

La manipulaion du langage, la parole manipulée

Les techniques de manipulations et de harcèlement - La perversité du système

Liens externes


Une vidéo d'une interview de Michel Crozier sui s'exprime sur les rapports de pouvoir qu'il a constés et analysés lors de son enquête dans les manufactures du SEITA

Synthèse sur le profil de Michel Crozier, sur Wikipedia

L'ACTEUR et le SYSTEME

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(page créée le : 2001, republiée le 9 juin 2011)

Sujets :

La sociologie des organisations de Michel Crozier, Analyse stratégique, Les relations de pouvoir, Michel Crozier bibliographie, Citations

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